Brutus & Portnawak

Quand il est lancé à pleine allure derrière les lièvres qui lui ouvrent la piste, Brutus est comme tous les cyclistes. Habillé tout de noir, il faut rester de longues minutes dans sa roue pour se rendre compte qu'il y a chez lui quelques désordres, que Portnawak n'a pas décelé immédiatement ; ce qui lui a presque coûté une séance de vélodrome...

Le brave Portnawak ne se faisait pas trop d'illusion. Après un week-end de compétition et malgré une courte séance de récupération la veille, ici même sur le vélodrome de Cannes-La-Bocca ; difficile de faire des étincelles au chrono. Lorsqu'il entame une bonne dizaine de tours d'échauffement, il se dit qu'il fera au feeling, mais par sécurité, il n'a pas d'écouteur et la musique qui l'accompagne dans les oreilles. On ne sait jamais, il fait nuit de plus en plus tôt, et si un bon peloton venait à se former, peut-être arriverait-il à suivre la cadence. Il lui faut donc pouvoir rester attentif à tout ce qui se passe au sein de cet hypothétique groupe de cyclistes.

Justement, ils sont au nombre d'une bonne vingtaine à tourner chacun à leur allure, par petits groupes de 2 ou 3. Les autres, comme Portnawak, observent en roulant au-delà de la ligne bleue au sol qui matérialise la limite officieuse entre ceux qui roulent et ceux qui se relèvent. Il observe attentivement en attendant que ses jambes montent en température.

Deux triathlètes roulent trop fort pour qu'il puisse accrocher le wagon. Trois autres cyclistes semblent faire du fractionné : 1/3 de tour de piste en sprint au niveau de la ligne de chronométrage et des tribunes spectateurs, 2/3 en roue libre et récupération. Portnawak se fait doubler par le trio en haut de la rampe montante côté Nord alors qu'ils sont en danseuse et les voit ensuite arrêter brusquement leur pédalage jusqu'à la grille d'entrée du parc vélodrome.

Le reste des coureurs s'éparpille et semble de niveau inférieur à Portnawak. Il devra se contenter d'un de ceux-là pour commencer à sucer les roues. Ensuite, il verra bien qui d'entre eux est joueur.

 

 

Après un bon quart d'heure passé à choisir son train, "le wagon" Portnawak se poste en queue d'un peloton d'une dizaine de coureurs prêts à en découdre. Il vient juste de se former, rapidement en quelques hectomètres, l'ensemble du vélodrome a décidé de se mettre réellement en branle ; et Portnawak avec.

Les deux triathlètes ouvrent le bal, suivis par deux coureurs du club de Mandelieu qui ne paraissent pas des manches non plus. Puis deux cyclistes un peu plus âgés que Portnawak mais qui moulinent plutôt bien et rond ; un retraité qui sort d'on ne sait où et il est probable qu'il ne restera pas dans les roues bien longtemps ; sauf erreur de jugement. Puis juste devant Portnawak cette grande tige d'au moins 2 mètres. Des épaules de déménageurs et plus aucunes formes passé le niveau du torse. Pas de reins ni de fesses ; des cuisses musclés mais si longilignes que leur volume semble inexistant par rapport à l'envergure de ses épaules. Ses mollets ressemblent à ces fameux "wings" que l'on sort rapidement du congélateur lorsqu'un barbecue de dernière minute s'organise entre amis.

Portnawak se dit qu'au moins derrière ce cycliste en forme de coton-tige il sera bien à l'abri. Le problème s'est qu'il donne des à-coups et ne parvient à resté collé au vélo devant lui. Souvent il relance en se tordant nonchalamment sur sa machine puis passe en roue libre ; quand ce n'est pas carrément un coup de frein léger pour ne pas percuter celui qui le précède. Bref, un coureur qui ne sait pas rouler en peloton. Un danger pour tout le groupe et surtout un casse-pattes pour Portnawak qui n'aime pas du tout les efforts inconstants. Premier désordre.

Mais impossible de passer devant. Personne ne s'écarte. Tout le monde campe sur sa position, y compris le triathlète en tête depuis plus de 10 tours maintenant. Portanawak explose. Il met son clignotant, même s'il est toujours en queue de peloton, dépasse la ligne bleue et descend sur le 34 dents pour 1 ou 2 tours.

Finalement ce sera 4, le temps que d'autres coureurs explosent aussi derrière les deux triathlètes et les Mandolociens. Il n'y a plus qu'eux en groupe, le reste est à nouveau disséminé. Portanwak décide donc d'initier un "nouveau train", plonge à la corde et commence à rouler à son rythme (Il pourrait rouler des heures à 30 km/h, lui semble-t-il.). Il revient sur le "Alain Bernard" du vélodrome, tout de noir vêtu et le cheveux crépu sous son casque ; puis le dépasse.

Le soleil est à ce moment rasant et Portnawak découvre l'ombre du pistard le plus irrégulier qui lui ait été de rencontrer dans sa roue. Pourvu qu'il ne lui rentre pas dedans.

Quand il porte le rôle de locomotive, Portnawak boucle deux tours. Cette fois-ci, avec le fou derrière, il s'écarte dès le premier terminé afin de laisser le relais et prendre à son tour la roue du grand dégingandé. Mais c'est un missile qui le déboite alors par la corde et après une courte tentative de relance en danseuse pour revenir dans sa roue, Portnawak est bien contraint de reposer les fesses sur sa selle et de voir partir la fusée. "Drôle de relais !" pense Portnawak qui reprend alors son rythme de croisière jusqu'au prochain cycliste qui voudra bien s'amuser un peu, sans saccades, sursauts ; pour ne pas dire "spasmes" !

Mais qu'aperçois rapidement Portnawak au loin alors qu'il n'a même pas parcouru un tour complet depuis son démarrage supersonique ? Le coton-tige ! Debout sur ses pédales et quasiment arrêté. "Il s'est explosé tout seul, le con !" ; est la première réflexion de notre héros qui revient donc dessus et le dépasse à nouveau. Portnawak lui lance alors gentiment :

"Tu as trop appuyé ton relais, impossible pour moi de prendre ta roue !"

Il tourne alors la tête vers Portnawak et lui présente son plus beau sourire accompagné d'un râle guttural qui devait signifier "OK, pas de soucis", mais que son interlocuteur traduit immédiatement par : "Mi soy stupido menner !" ; une réplique culte du moine "Salvatore" dans le film "Le Nom de la Rose" d'Umberto Ecco. Portnawak imagine même l'acteur sur un vélo. Puis poursuit son chemin mais...

 

 

...Soleil, coup d'oeil au sol ; l'ombre de Ron Perlman est de nouveau dans la sienne. Rebelote, après un seul et unique tour devant, Portnawak s'écarte en espérant que "Salvatore" s'applique à prendre un relais digne de ce nom. Mais non. "Rocket Man" se dresse sur ses pédales et fonce seul vers il ne sait où. Vers un arrêt cardiaque ? Vers un "Accident Vasculaire cérébral" ? Non ça c'est impossible, il faut un cerveau pour cette pathologie. Là c'est sûr ; y'en a pas.

Portnawak n'a même pas essayé de prendre la roue cette fois-ci. Il reste dépité à 30Km/h pour une dernière poignée de tours de vélodrome, puis entame encore quelques tours supplémentaires de "retour au calme". Tantôt il voit le cinglé qui zigzague au milieu de la piste en regardant derrière si un inconscient veut bien prendre sa roue, tantôt il roule autant des pédales que des épaules.

L'explication la plus claire au fait que les autres coureurs du circuit l'ont évité est maintenant évidente et limpide. Il représente un danger pour les autres et Portnawak aurait du y prêter un peu plus d'attention. Finalement de tous les petits noms d'oiseaux que Portnawak aura pu lui attribuer durant sa séance, c'est celui de "Brutus" qui est resté pour son titre de billet.

 

 

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